Tuesday, October 9, 2012

Interview


Un interview realisé dans le cadre d'une conférence autour de notre livre Pamir, Oubliés sur le Toit du Monde - © Raphaël Gaudriot de l'association Points-Coeur.

Je m'attarde sur la beauté
Matthieu Paley, photographe du fini et de l'infini


Matthieu Paley est un photoreporter spécialisé dans les régions de l'Ouest Himalaya. Outre des collaborations pour Géo, Time, Newsweek... Matthieu fait partie des rares photographes français à travailler sous contrat pour National Geographic. "Oubliés sur le toit du monde" est un magnifique ouvrage de photographies et textes qu'il a réalisé avec son épouse. A l'occasion de la sortie de ce livre aux Editions de la Martinière, Matthieu sera à la Maison Adrienne-von-Speyr ce jeudi 11 octobre pour une présentation de ses années de travail.  

Pourquoi as-tu commencé la photographie?
C'est une question très difficile. J'étais attiré par quelque chose, j'avais envie de trouver un métier qui n'ait pas de règles bien établies. J'avançais - comme maintenant - en écoutant mes envies. La photo m'intéressait, le théâtre aussi, le domaine de l'expression et du visuel.  C'est dans la photo que j'ai trouvé la liberté pour appliquer ce métier qui peut se décliner à infini. D'autre part, le fait qu'il faille se surpasser au niveau de sa timidité pour approcher les gens, avec beaucoup de respect, m'intéressait. C'était un challenge auquel j'avais envie de me confronter - pas de long téléobjectif pour moi! Or, il me faut absolument un défi dans ma vie, pas au sens physique du terme, mais en rapport avec les gens que j'ai envie de photographier. Par exemple, les kirghizes afghans sont des gens qui sont plutôt éloignés de moi dans leur comportement. J'ai commencé à travailler en profondeur sur ce sujet pour mieux le comprendre.

Quel est le reportage qui t'a le plus marqué?  
C'est certainement celui qui paraît dans le livre "Oubliés sur le toit du monde" qui est le fruit de douze années de travail. J'ai rencontré le peuple kirghize pour la première fois en 2000 lorsque j'étais au Pakistan avec mon épouse - ils arrivaient sur leur yaks des hauts plateaux d'Afghanistan. Je suis retourné les voir en 2001 alors que je travaillais avec la Fondation de l’Aga Khan. J'ai alors réalisé qu'il s'agissait plus que de prendre simplement des photos de kirghizes. Une histoire commençait entre eux et moi. Comme ils ont été exilés en Turquie en 1978 quand les russes sont entrés en Afghanistan, je suis alors parti en Turquie pour les voir là-bas et j'ai ramené des lettres à leurs proches, minorité restée en Afghanistan. J'ai ainsi remis en contact des familles qui ne s'étaient pas revues depuis 25 ans.  J’ai voulu aller plus loin et retourner en hiver. Je l’ai proposé à Géo Allemagne qui m'a alors suivit dans cette aventure. C'était une expérience incroyable car j'avais un doute sur la réussite de cette expédition: c'était en Afghanistan, il fallait remonter cette rivière gelée alors que depuis 1972, aucun occidental ne l'avait remontée, mon fils n'avait pas un an... J'ai ensuite eu la chance de retourner en hiver à trois reprises leur rendre visite. C'est un luxe rare en photographie de pouvoir travailler en longueur et de voir l'évolution des gens, de voir les choses changer.

Mais désormais ma question est de savoir ce que je peux donner en retour à ce peuple, après avoir pris toutes ces photos.  Je n'ai pas envie de "faire quelque chose". J'ai vu tellement d'ONG qui ont "fait des choses", mais qui n'ont mené à rien, sinon à "soulager leur conscience". Il faut qu'il y ait un impact durable et cela ne vient pas de l'agitation. Alors je ne "fais" rien, ou bien peut-être ce livre est-il une action, en  rendant hommage à ces personnes. Mais c'est un hommage qui n'est pas larmoyant, envers une société qui est sur le point de disparaitre. Ce qui compte c'est de montrer une société où certes les gens souffrent énormément, mais sans se plaindre. Ils prennent la vie telle qu'elle est. J'ai été ébahi par exemple devant l'acceptation de la réalité de Khaltcha, cette femme qui m'a dit à l'improviste, sans se morfondre, qu'elle avait perdu ses 11 enfants. Pour elle, c'était un fait, ce n'était pas injuste. C'était une sacrée leçon de vie. Je crois que dans nos sociétés, nous avons perdu cette force de gérer la vie. Nous voulons sans cesse nous battre pour que notre sort s'améliore, en n'étant jamais heureux de ce qui est maintenant. Ainsi, ce qui m'a le plus marqué dans mes reportages et dans celui-ci en particulier, ce sont les personnes que j'ai rencontré, à travers des expériences de beauté, mais aussi de dureté.

Quelle est ta vision de la photo, de la vie ?
Je cherche les choses et les gestes  anodins qui montrent une humanité commune.  Je montre la vie dans ses sous aspects.  Les sujets que je traite ne rapportent habituellement pas ou peu d'argent! Aujourd'hui, il faut souvent partir sur les fronts de guerre pour vendre. Je recherche la beauté et décide m'attarder sur elle. Mais une question qui m'habite est que même dans la douleur, même dans les photos de mort, on peut percevoir une certaine beauté.

Je recherche la dignité chez les personnes. Je ne prends de photos pour montrer les conditions difficiles dans lesquelles elles vivent afin que l'on vienne les aider. Je suis là pour témoigner, mais pas pour qu'on trouve une solution pour eux. Car il faut que les solutions viennent de l'intérieur et non pas de l'extérieur. Il faut laisser durer les expériences. Il faut rendre témoignage pour montrer comment sont les choses tout simplement.

La photo qui m'émerveille est celle où je ne comprends pas, où je ne contrôle pas tout. C'est à la fois un peu énervant, cela fait un peu peur. Pour faire une bonne photo, il faut donc à la fois une dose de surréel, un appel de l'au-delà, intangible, intemporel et une dose de ce qui se rattache à notre vie, plus humaine, plus proche.
La bonne photo est toujours la bonne prochaine photo que je vais prendre!